Soly Cissé, Les Mutants,, Fondation Dapper, 2017

SOLY CISSÉ, LES MUTANTS : SOLO SHOW

14/01/2017

14/01/2017

MUSÉE DAPPER

 

jusqu’au 14 juin 2017

Le musée Dapper expose une vingtaine de pièces de l’artiste sénégalais Soly Cissé, en résonance avec celles de Chefs-d’œuvre d’Afrique.
Son œuvre – dessin, peinture, collage, assemblage et sculpture – raconte des histoires qui semblent se dérouler dans des univers parallèles.

COMMISSAIRE :   CHRISTIANE FALGAYRETTES-LEVEAU

 

Soly Cissé, qui a reçu un enseignement plutôt académique à l’école des Beaux-Arts de Dakar, a questionné les grands courants artistiques qui ont marqué la seconde moitié du xxe siècle, pop art, néo-expressionnisme et l’action painting notamment, et on connaît son grand intérêt pour les œuvres de Francis Bacon et de Jean-Michel Basquiat.

L’artiste s’est approprié des pratiques issues de divers mouvements, les a revisitées pour élaborer une démarche singulière et originale.
Celle-ci rapproche et combine des éléments qui, a priori, n’étaient pas destinés à être assemblés. Les repères sont brouillés à dessein comme pour rendre plus ardue la quête du sens. Ainsi, lorsque des humanoïdes à tête cornue où de fantôme, semblent déambuler dans un espace envahi où se détachent les tags « CRÉDIT », « RÉAGIR » et « GRAVITÉ ».Ailleurs, l’invasion de lettres, de chiffres et de codes barres, témoignet de l’omniprésence de la société de consommation.
Parfois s’inscrirent un collage de texte d’un magazine, sur lequel l’artiste a dessiné pour « imposer son propre univers», et pour faire partie d’une histoire qui maintient à distance les plasticiens des pays émergents.

Soly Cissé donne à voir son vécu ainsi que ses interrogations sur le monde, ses incohérences, ses injustices. C’est une prise en compte des réalités sociales et économiques qui entravent, entre autres, un rapide développement de l’Afrique, plus qu’un engagement politique au sens strict.

L’intérêt de Soly Cissé pour les clichés réalisés par son père radiologue, a déterminé l’omniprésence du noir.

Le plasticien est allé chercher dans la culture populaire – notamment dans ses croyances – des éléments visuels appartenant à des univers différents. Dans cette perspective, isolés de leur contexte, réinterprétés, et donc désacralisés intentionnellement, masques et statuettes sont intégrés dans un monde virtuel. Ici des bribes de textes apparaissent dans la bouche d’un masque, objet qui sort encore dans les villages senufo de Côte d’Ivoire lors des funérailles.. Là un cimier tyi wara des Bamana du Mali surmonte un corps féminin doté d’un unique sein lourd, ce type d’accessoire cultuel étant toujours porté par de jeunes hommes lors des fêtes agraires célébrant la fertilité de la terre et la fécondité des femmes. Le détournement permet de maintenir l’œuvre dans sa dimension contemporaine et universelle et de faire en sorte que les pratiques cultuelles – évoquées de façon implicite ou non – laissent des traces. À décrypter.

Dans de nombreuses sociétés de l’Afrique subsaharienne, solliciter les entités de l’autre monde place les individus dans un réseau de relations complexes. Le recours au surréel s’avère positif s’il est destiné à assurer la protection ; il devient négatif, voire destructeur, dès lors qu’il s’appuie sur la sorcellerie. Devins et officiants « investissent » la terre, l’eau et l’air – où demeurent les divinités, les « génies » et les esprits.

L’art de Soly Cissé est marqué par l’ambivalence ; figures qui intègrent plusieurs registres de représentation, procédé formel que l’on retrouve d’une œuvre à l’autre. Ainsi, dans Les Initiés des êtres indéfinissables semblent appartenir à des mondes lointains. Deux d’entre eux affichent le hiératisme de statues gardiennes d’un lieu sacré. Des référents issus du religieux ?

Cependant il ne s’agit pas d’enfermer l’inspiration de Soly Cissé dans les limites d’un patrimoine « africain », mais de déceler des éléments culturels participant à une démarche globale ouverte sur le monde contemporain qui affiche sa dimension universelle.

L’artiste  affirme : « Mes personnages n’appartiennent pas à une culture bien définie. J’essaye de créer un monde de métissage où les cultures se frottent et se valorisent entre elles. Je montre l’homme d’aujourd’hui, ouvert, qui consomme d’autres réalités. Ma peinture n’est pas identitaire, je n’essaie pas de “représenter” l’Afrique. C’est loin de mes soucis. Il y a des reflets de ma culture, c’est bien sûr inévitable ».

 

PRÉSENCES ANIMALES

 

Un animal étrange s’impose : petit félin aux oreilles dressées et au pelage tacheté,  représenté plusieurs fois sur une même œuvre, donnant l’impression d’une meute de prédateurs errants en quête de proies potentielles. Cette figure récurrente est dotée, le plus souvent, d’un regard presque humain avec des yeux exorbités. Elle semble être l’unique rescapée d’un violent séisme.

Est-ce un intercesseur, un médiateur privilégié des hommes ? La connivence des espèces humaines et animales, qui permet de conforter les relations avec les esprits et les divinités, est constante dans les référents culturels d’un grand nombre de sociétés africaines. Elle détermine des conduites rituelles spécifiques qui marquent tant les actes de la vie privée que collective, familiale et clanique… Soly Cissé nomme ses figurations animales – elles viennent, dit-il, de son imagination – les « SOSO » ; il a accolé la syllabe « so » de Soly et de Socé, l’ethnie à laquelle appartient son père.

Les Socé sont apparentés aux Mandingues, l’un des groupes les plus importants de l’Afrique de l’Ouest où se retrouvent les Soninke et les Bamana… Il existe une grande proximité culturelle entre les peuples du Sénégal et ceux de pays voisins, dont la Guinée, le Burkina Faso et le Mali. Les sociétés de culture mandingue sont régies par des systèmes hiérarchisés au sein desquels de puissantes confréries de chasseurs, dirigées par de Grands Maîtres initiés, exercent depuis des siècles un pouvoir politique et religieux. La représentation du mouton, animal domestique, dénote une dimension religieuse et possède donc une forte valeur symbolique ;

 

SCULPTURE – ASSEMBLAGE

 

Soly Cissé excelle dans le dessin comme en témoignent ses réalisations au pastel et à la sanguine  où s’agitent des créatures entassées, où il est difficile de discerner l’homme de l’animal. Cette caractéristique est également présente dans la peinture et la sculpture.

Les Totems  ds années 90, construits à partir de sciure de bois mélangée à du sable intègrent des techniques et des matériaux divers. L’assemblage alliant principalement sculpture et peinture, loin d’imposer un réalisme anatomique, propose une image corporelle au premier abord énigmatique. Les œuvres sont dotées d’une petite tête faisant penser à celle d’un animal (un oiseau ?) ; elles portent chacune deux réceptacles fermés par du verre peint.

Soly Cissé recourt ici à la technique des fixés sous verre art populaire qui connut un grand essor au Sénégal dans les années 1930. Après avoir conçu à l’encre un dessin sur une plaque de verre, l’artiste colorie les espaces vides entre les traits avec une peinture permettant de fixer l’ensemble. Sèche, la plaque de verre est ensuite retournée puis placée sur un support. L’œuvre s’observe par transparence et le dessin d’origine est donc inversé. Cette technique ne permet pas de retoucher le travail.

Ces reliquaires cernés d’éléments pointus renvoient à l’esthétique des nkisi. Ce terme qui pour qualifie certains objets d’art des cultures kongo (République démocratique du Congo et Congo) pour définir la notion de pouvoir qui s’appuie sur la gestion des forces cosmiques afin de maintenir l’équilibre du monde. Des actes spécifiques mettent en branle le nkisi : fixer une ou plusieurs charges – dont des reliquaires – sur le ventre, le dos ou la tête de statuettes, planter des clous sur leur corps, l’enduire de terre, de sang ou d’autres substances vitales. En outre, les petits visages figurés dans la partie supérieure des Totems présentent des similitudes avec ceux des masques ou des statuettes kongo, visages enduits d’argile blanche et de pigments rouges, et dont les yeux largement ouverts sondent les mystères de l’au-delà.

Une notion de pouvoir caché.

Ne pourrait-on interroger aussi le Totem à la lumière d’une pratique rituelle ? Chez les Soninke et les Dogon du Mali une gestuelle particulière, les bras levés, constituerait un signe d’imploration pour que les divinités fassent tomber la pluie nécessaire à la germination du mil.

L’iconographie des sculptures anthropo-zoomorphes de Soly Cissé relève d’un répertoire de formes élaborées. Conçus comme un couple, leur traitement, marqué par l’effet de symétrie, ne diffère que par quelques détails: sur le ventre de l’un d’eux sont fixés des éléments symbolisant des seins. Le corps, humain est surmonté d’une tête allongée évoquant une bête inquiétante :  on dit que son cri s’apparente à un ricanement sinistre. La hyène. Un mors muselle complètement la gueule. Les membres ne sont pas recouverts d’une peau, mais d’une cuirasse agrémentée de crochets de fermeture pour souligner qu’il s’agit d’un vêtement. Ces sculptures évoquent a priori des images sombres, car la hyène se nourrit entre autres de cadavres, assurant ainsi l’assainissement de son environnement, la savane. Soly Cissé retient le rôle utile que remplit l’animal, car il a voulu en faire un « symbole de l’attachement à la famille » et valoriser son « esprit de solidarité » ; les hyènes chassent ensemble et nourrissent donc la horde.

Le matériau utilisé, tôle, fer à béton, confère aux personnages une présence forte. L’originalité plastique et la force des sculptures sont nées du talent de l’artiste qui a réalisé les dessins préparatoires et a travaillé en étroite collaboration avec un maître forgeron. Le fer, soigneusement découpé en plaques, a été martelé. Après polissag,  une couche de vernis de protection  donne au métal une couleur brune et brillante. Ces pièces appartiennent à un vaste ensemble de sculptures en fer, composées principalement de figures gigantesques (environ trois mètres de haut) se mouvant dans un univers où reines et rois géants sont les familiers de dinosaures, de serpents et autres personnages qui auraient pu être réalisés pour la maquette d’un film de science-fiction ou pour un album de bande dessinée.

Artiste érudit, Soly Cissé joue délibérément avec une multitude de référents et de codes qui se chevauchent, sans jamais s’annihiler. Dans cette esthétique toutes les interférences sont permises. Les « détournements » de formes, notamment des objets liés à des croyances et des mythes de l’univers « traditionnel », correspondent à une démarche qui transporte des bribes d’un passé, les renouvelle en les intégrant à un discours qui dit le monde contemporain.

 

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